Kyrgyzstan, été 2018.

On quitte la ville de Naryn sur une belle nationale goudronnée, ce qu’on a peu fait jusque là. Quelques kilomètres plus loin, à l’embranchement qui part sur notre piste, on hésite. Est-ce qu’on resterait pas un peu sur la route principale histoire d’embrayer des kilomètres facilement ? Il y a un peu de traffic mais ça grimpe moins, et surtout c’est asphalté. On s’engage finalement sur la piste, et quelques kilomètres plus loin un kyrgyze dévale son champ à toute vitesse pour nous barrer la route, nous inviter chez lui et nous restaurer à grands bols de Kymyz, le lait de jument local. 


Ce matin, l’histoire se répète un peu. On prend un bout de nationale, et au carrefour qui part sur la via Egnatia, ancienne voie qui allait de Rome à Istanbul et qui doit nous mener jusqu’à Elbasan, on se tâte. On a un peu la flemme, la piste s’annonce cassante, on a mal dormi, bref la nationale nous fait les yeux doux. On choisi la Via Egnatia finalement, et 800m plus loin on se fait accueillir par toute une famille, Sabri et Dije les grand-parents, Avni le père, Manjola la nounou, Inva, Amaris et Elvis les enfants. La piste passe devant chez eux, on n’a pas le temps de leur demander si on est sur la bonne route qu’on est déjà assis sur leur canapé, un verre de kos dans une main, café turc dans l’autre et raisin sur la table. Le kos, c’est le yaourt traditionnel, qu’ils font maison. Inva, 13 ans, parle un anglais parfait ce qui nous permet d’échanger avec tout le monde. Ils ont à cœur de donner la meilleure image de l’Albanie et nous questionnent en permanence pour savoir ce qu’on pense de leur pays, pourquoi on est venu, ce qu’on en pensait avant de venir. A vrai dire on en pensait pas grand chose, le pays nous était assez inconnu. Probablement dû à son isolement extrême pendant 40 ans, à la hauteur de la Corée du Nord aujourd’hui. 


On reprend la route le ventre plein et les sacoches chargées d’1kg de raisin et 2 litres de kos supplémentaires. On zigzague depuis 2 semaines dans un pays de la taille de la Bretagne et nos marques de bronzage de cyclistes s’affinent. On vit en sandales depuis 1 mois, et c’est le pied.  On s’amuse d’ailleurs à deviner la marque des sandales des cyclo-touristes qu’on rencontre à la couleur de leurs pieds… 


On apprécie les jeux de mot du coin, Carpet Diem pour ce vendeur de tapis, Sugar Shore pour cet hotel en bord de plage. La spécialité du coin ? Les stations de lavage. On a arrêté de les compter depuis longtemps tant elles sont nombreuses. On se rapproche de la capitale, Tirana, sous un ciel menaçant. Déluge pour entrer en ville, circulation chaotique, et pita-salade grecque dans un fast food en écoutant les sifflets des policiers qui tentent de maintenir un semblant d’ordre. Et ce ne sont pas les feux de circulation bling-bling retro-éclairés de haut en bas qui changent quelque chose. 


On aime beaucoup cette ville. Elle se développe à vitesse grand V, de toutes les couleurs et de toutes les formes, comme cet immeuble en construction de la forme de l’Albanie ou celui-là qui dessine le profil de Skanderberg, le héros national. On boit le café autour des étals de marché du Nouveau Bazar, et on mange des Zgara le midi (nourriture grillée, en particulier les Qofte, boulettes de viande). En face de l’ancienne villa du dictateur Enver Hoxha un KFC s’est installé, et le bar electro voisin crache un son énorme, comme une belle revanche sur l’histoire. Les autorités ne savent d’ailleurs pour l’instant pas trop quoi faire de cette villa embarrassante. Autre ironie, ce bunker champignon transformé en lieu de prière, dans un des symboles même de la paranoïa communiste anti-religion. 


Tirana, c’est 1,5 millions d’habitants, soit la moitié de la population albanaise, c’est des baklavas qui trempent dans le miel dans toutes les bonnes patisseries et des qofte grillés le midi, des passages piétons multicolores, des bunkers anti-nucléaires de plusieurs milliers de m2 sous nos pieds, c’est des chiens errants sur tous les trottoirs et des poubelles qui débordent, des mosquées centenaires qui regardent des églises orthodoxes ou catholiques toutes neuves, et du vin albanais à 14% qui nous brûle un peu le palais.


Un bon nettoyage des vélos à coups de brosse à dents sur la terrasse de notre appart et on reprend la route après 4 jours dans cette capitale qui on le sent aura bien changé la prochaine fois qu’on y remettra les pieds. Direction les parcs nationaux bien montagneux au nord du pays, qu’on attend avec impatience depuis le début du voyage ! 

A suivre…