C’est marrant parfois à quel point tu en viens à désirer un endroit. Les montagnes du parc de Valbona sont notre lac Titicaca albanais, on y pense depuis le premier jour. Elles sont attirantes sur les cartes, en photos, tout le monde semble en parler, et comme elles sont au nord du pays, on a le temps de les désirer. On se précipite pas non plus, mais on a hâte de cette dernière étape avant de basculer au Monténégro. 


Allez ciao Tirana, ciel bleu ce matin. « Le soleil n’est jamais si beau qu’un jour où l’on se met en route » disait Jean Giono. 


Soph prend l’itinéraire en main. On quitte la ville par ses quartiers surélevés, puis dans des gorges serrées, et nous voilà sur les cailloux à suer corps et âmes au dessus du lac de Bovilla. Première crevaison, deuxième, on retient notre respiration au passage d’un convoi de 4x4 touristique et on pique-nique après le village de Rranzë. A chaque hameau sa mosquée, les minarets blancs parsèment le paysage et nous indiquent la présence d’une source d’eau pour remplir nos gourdes. 


On mange bien, à vélo ? On mange pas si mal. Voyager léger, manger lourd, notre mantra. On a faim tout le temps, et on se permet tout. Soph s’étonne d’avoir encore des dents devant la quantité de sucreries avalées, notamment les baklavas dont j’ai parlé dans l’article précédent. 

Le midi, c’est casse-croûte sur le pouce : œufs durs, carottes, concombres, pain, fromage, pastèque ou melon quand on s’arrête proche d’une épicerie. Le soir, c’est pâtes au pesto, riz noir, ail, oignon confit, thon grillé au papier toilette (recette spéciale cyclotouriste de notre poto César, demandez la recette), huile d’olive de Grèce encore en réserve, sel, poivre, épices. 

Des plats basiques qui ont le goût d’un bon gastro, la vue et les couleurs d’un coucher de soleil en prime. Le luxe ne se vit plus de la même façon. 


Sur les terrasses des cafés, très peu de femmes, les hommes monopolisent l’espace public hors des villes. Dans nos sacoches, du miel albanais, juste délicieux, et notre backgammon de voyage. Soph me met un peu trop la patée récemment, il faut que je me reprenne. 

Je suis coupé des infos depuis le début du voyage, je m’offre ce break, et ça fait du bien. A part pour Elisabeth bien sûr, ça on l’a su dans la minute. « The Queen, dead! », réaction systématique dès que Sophie annonce sa nationalité. 


En arrivant dans nos montagnes au nord de l’Albanie, il s’est mis à pleuvoir comme pas possible. Le plafond est descendu aussi bas que la température, à la limite de la cime des arbres. Le café dans lequel on s’est réfugié au petit matin, apparition divine pour nos corps trempés, perdus sur une piste abîmée, nous a plongé droit dans un film de Tarantino. Dans cette pièce sombre, murs et sol en pierre, tables rondes en bois et musique albanaise en fond, le volume sonore s’est mis à augmenter proportionnellement à la quantité de raki ingurgité. "La pluie a été inventé pour que l'homme se sente heureux sous un toit » écrivait Tesson, et nous on commande une deuxième tournée de cafés-thés pour se réchauffer. 


Il y a deux options pour se rendre à Theth, le village le plus touristique du coin. Une belle route goudronnée toute neuve assez directe, et une piste défoncée et plus longue. Devinez quelle route on a choisi…

Les cailloux nous offrent la tranquillité et des rencontres souvent plus authentiques, un brin d’aventure en prime. 


À Theth, la chambre dans laquelle on se réfugie est hors de prix, les contacts moins sympas, et la météo ne va pas s’améliorer avant plusieurs jours. Alors on change nos plans, et on décide de retourner à Shkodër et de passer au Monténégro par la côte plutôt que par ses montagnes. 3 semaines à désirer cet endroit, pour 1 seule journée pluvieuse sur place. 

Mais tu vois, quand on est arrivé au lac Titicaca, après 6 mois à vadrouiller depuis la Colombie, on était émus bien sûr, mais on s’est rendu compte assez vite que, finalement, on avait vu un paquet de trucs incroyables pour arriver jusqu’ici. Tout le bonheur de voyager à vélo réside là : l’important c’est le chemin, pas la destination, mais vous connaissez la chanson. 


A Shkodër, on est accueilli par Chuck & Susan, respectivement 78 et 76 ans, couple d’américains installés en Albanie depuis 5 ans et hôtes Warmshowers bien connus du coin. Warmshowers, c’est un réseau mondial d’accueil de cyclo-voyageurs, un couchsurfing spécial cyclos en somme. Ils nous ouvrent les portes de leur appartement et on passe 2 jours en compagnie d’allemands, français, brésiliens, tous en direction du Sud, souvent d’Istanbul. On partage la même chose et les liens se créent rapidement, les anecdotes, les routes à suivre et les bons plans s’échangent autour d’un bon repas le soir. Chuck et Susan ont mis à dispo une étagère remplie d’habits de rechange histoire d’avoir quelque chose à enfiler quand on fait une machine. C’est ça de voyager avec 2 teeshirts et un caleçon…


C’est lundi et le soleil revient, alors on charge les vélos et on reprend la route en fêtant notre premier mois de vagabondage, à quelques heures de passer au Monténégro. 

A suivre…