2h45 du matin dans la tente, sur le parking des eaux thermales de Benje, chants grecs à plein volume, impossible de dormir. Le seul bar sur place a décidé de faire la teuf jusqu’à 4h, et nous on se demande ce qu’on fait là. 

L’albanie depuis une semaine est sans nuance. Très chaude, très raide, très bruyante. 


Sur ma sacoche de selle, c’est la cour des miracles : chaussures, Kway, vache à eau, serviette, bouteille d’eau, chapeau. Fallait faire de la place pour le beurre de cacahouète, le miel et les byrek…

Dans la sacoche de Soph, 1kg de fromage, deux miches de pain, 2kg de prunes offertes par notre hôte de la veille, et des affaires qui sèchent en roulant. 


En quittant Gjirokastër, on met le cap au Nord-Est, direction le lac d’Ohrid, à cheval sur la frontière de la Macédoine du Nord. Comme on aime pas trop la nationale, on trace en coupant à travers plusieurs parc nationaux, notamment le Bredhi Hotoves. Sur le papier, ça parait simple : Sheper, Permet, Frasher, Clirim, Korçë, Pogradec puis enfin Lin, pour se poser 2 jours. Mais ce n’est pas si simple de tracer des itinéraires bis en Albanie. Quand tu ouvres une carte au Pérou, en Colombie ou bien sûr en France, tu as toujours un choix conséquent d’options : routes principales, secondaires, pistes, sentiers, il y en a pour toutes les envies, tous les jours. Ici, c’est différent. Une route principale, et des perpendiculaires qui relient les villages, majoritairement non goudronnées, et c’est à peu près tout. Comme le pays est très montagneux, les perpendiculaires s’arrêtent la plupart du temps au dernier village. Alors on zigzague, on teste, on fait demi-tour quand ça passe vraiment pas, on pousse les vélos ou on rallonge. Et on prévoit large : 5 jours pour relier le lac depuis la ville médiévale. On a un gros doute cependant : un pont qui semblerait avoir été emporté aux 3/4 de notre itinéraire. Bon on essaiera de se renseigner en chemin. 


Des pistes aussi belles valent tous les litres de sueur du monde. Certains villages accrochés aux flancs des montagnes nous rappellent le Népal, les pistes abîmées et arides au sud nous transportent au Tadjikistan, et la gentillesse des gens tout droit en Asie Centrale. Bref, on voyage, et tout ça à quelques heures de l’Italie. Et bientôt au sein même de l’UE ? 

A chaque fois qu’on demande aux locaux si notre piste passe, la réponse est unanime : non. Soit la piste n’existe plus (‘une vieille piste de l’époque communiste’), soit elle n’a jamais existé, soit le pont a effectivement été emporté par une crue. Sur la carte détaillée du parc national, elle n’est même pas représentée ! Pas super bon signe. Mais l’éviter nous ferait soit redescendre en Grèce et faire un immense détour, soit changer de cap et filer au Nord vers la ville de Berat, sans voir le lac. On decide de continuer, en faisant confiance à notre app (un peu moins aux locaux) et en misant sur le niveau très bas des eaux en plein mois d’août.  

 

Le soir du troisième jour, on atteint le petit village de Frasher, on filtre pour faire le plein d’eau et on repart. On est au cœur du parc, et on souhaite passer un dernier col avant la nuit. A peine reparti, l’orage nous surprend. Déluge, éclairs, ça gronde fort au dessus de nos têtes et le sentier sur lequel on se trouve se transforme rapidement en ruisseau. Redescendre ou continuer et trouver un abri ? On choisi l’option 2. On sert les fesses sous la tempête pendant 45 minutes avant de se réfugier sous le surplomb d’une falaise, à côté de l’entrée d’une grotte. Trempés, morts de faim. On sort les biscuits et là, on flippe. Et si c’était l’entrée d’une tanière ?! Il est 18h, la luminosité baisse, il pleut à sceaux, on est claqués et on sait que le parc est bourré d’ours. Avec le recul, c’est bête et même bien drôle, mais sur le coup, perdu sous l’orage la haut, on cogite. Un des derniers cours de Soph aux enfant était justement sur les ours, et comment se défendre si tu en croises un. Oui mais attends, c’est avec les ours bruns ou les ours noirs qu’il faut faire le mort ?

Bon ce soir le fromage, on l’accroche dans un arbre, et loin de la tente.  


En tout cas, la piste est chaotique, mais elle existe ! Le cinquième jour, on arrive au fameux pont, bel et bien emporté, mais vu le peu d’eau on traverse sans problème. Youhou ! On en profite même pour mettre un petit coup de polish aux vélos dans le torrent. Moralité : prendre les conseils locaux avec prudence, ce qu’on a déjà constaté dans de nombreux pays.


On relie la ville de Korçë en début d’après-midi. Coup de cœur pour la capitale culturelle albanaise. Merci Ujene pour cette visite guidée et cet éclairage sur la société, l’histoire, les fractures actuelles. Imaginez le décalage inter-générationnel entre des gens qui sortent de 40 ans de dictature communiste et qui entretiennent parfois une certaine nostalgie, et des jeunes branchés sur Instagram et gavés de clips de rap US. Ujene nous raconte qu’à l’ouverture du pays, les premières cannettes de Coca-Cola étaient conservées ouvertes et servies par petits shots, comme une Chartreuse VEP qu’on sort du placard en de rares occasions. 


Allez un plein d’essence et on file pour le lac. Notre réchaud pour cuisiner fonctionne à l’essence. C’est super économique, facile à trouver, et plus facile à transporter que des bouteilles de gaz (dont on ne sait jamais quoi faire une fois vides au passage). Et ça crée toujours des situations cocasses, quand le pompiste nous voit arriver à vélo et qu’on lui présente notre bouteille de 50cl. Un coup de nez pour reconnaître le type d’essence qu’on utilise, une petite pression sur le pistolet, hop ça déborde, 50 centimes s’il vous plait, rires, merci et bonne journée. Toujours un moment sympa. 


30km de piste, 30km de route, et pieds en éventails pour 2 jours au bord de l’eau.

Ensuite, direction la capitale, Tirana !